zondag 1 januari 2012

Conception d'un projet

Projet sur la désertion et l'insoumission

Un jour ils feront une guerre et personne ne viendra
(Sometime they'll give a war and nobody will come. Carl Sandburg, 1916)

Il avait fait le front de l'Ouest,
Subi le cruel baptême du feu,
Couvert de plaies (...)

Pas de surprise : quand il apprit qu'il devait aller au front,
Il prit sa décision et déserta.

C'est ainsi que le poète anonyme de la Première Guerre mondiale décrit son calvaire. Comment, à chaque fois, on le remet sur pied; comment il est blessé à nouveau et à nouveau envoyé au front. En définitive, il prend son courage à deux mains et déserte. Ecoutez la voix d'un autre poète anonyme, dans un livre de 1800 : Quand j'ai déserté, // A Malines je suis arrivé, // Les Français m'ont attrapé, // Je m'suis dit : ça va fumer. Le poète se lamente sur son sort, parce qu'il écope en première instance de 8 ans de prison. Après une « intervention amicale venue de plus haut », sa peine est réduite en appel. Mais le poème sans doute le plus connu écrit et chanté en l'honneur du déserteur est de la main de Boris Vian : Monsieur le Président // je ne veux pas la faire, // je ne suis pas sur terre // pour tuer de pauvres gens.

Jusqu'à ce jour, la désertion est considérée comme un délit très grave du point de vue militaire. Pourtant, il y a toujours eu des déserteurs, à toutes les époques et sur tous les fronts. Les livres d'histoire préfèrent éviter le sujet. En temps de guerre, la désertion était souvent due à des motifs personnels, par exemple en raison des épouvantables conditions de vie au front ou parce qu'on devait s'occuper de sa famille, restée au foyer. Mais la désertion a toujours été une forme de résistance, résistance contre la logique de guerre, résistance contre le corset de la discipline militaire. Le déserteur ne salit pas seulement le blason de l'armée de son pays, mais aussi celui de sa patrie elle-même. C'est que l'Etat a la prétention de pouvoir réquisitionner ses citoyens, d'en faire des soldats et de mettre en jeu leur vie.

« Maintenant des millions de prolétaires de tous les pays tombent au champ de la honte, du fratricide, de l'automutilation, avec aux lèvres leurs chants d'esclaves ». Ces mots sont ceux de Rosa Luxemburg en 1915 (la brochure de Junius). « La guerre mondiale ne sert ni la défense nationale, ni les intérêts économiques et politiques de quelque masse populaire que ce soit; elle n'est qu'un produit de la concurrence capitaliste entre les classes capitalistes de différents pays pour la domination mondiale, pour le monopole de l'exploitation et de l'oppression des territoires non encore dominés par le capital ». Cette analyse n'a, hélas, pas pris une ride. Il suffit de penser à l'Afghanistan, à l'Irak, à la Lybie, à la Palestine ...

Insoumission

Réfléchir à la désertion, c'est donc aussi réfléchir aux raisons pour lesquelles on fait la guerre. Pendant la Première Guerre mondiale, de nombreuses voix se sont élevées pour célébrer l'antimilitarisme et le pacifisme. Il y a eu tout un mouvement d' « objecteurs de conscience » en Grande-Bretagne. Gardiner est un insoumis britannique qui a déclaré, au tribunal, que la guerre ne se faisait pas contre lui mais contre l'Angleterre. « I don't think my name has been brought up at all in the German Reichstag » (je ne crois pas que mon nom ait été le moins du monde prononcé au Reichstag allemand) (Huddersfield Military Service Tribunal, 20 mars 1916). En France, il y a eu en 1917 des mutineries en solidarité avec la révolution russe. Dans son livre Vrouwen van de Eerste Wereldoorlog (Les femmes de la Première Guerre mondiale), Denise De Weerdt a analysé les formes de résistance développées par des femmes « à l'arrière du front ».

En Belgique, le statut d'objecteur de conscience appartient au passé. Il a été supprimé en même temps que le service militaire. Mais le 24 mars 1995, Johan Vande Lanotte, alors ministre de l'Intérieur, répondait à une question parlementaire qu' « en temps de guerre, les objecteurs de conscience sont de toute façon intégrés à l'armée, sans qu'ils doivent être amenés à porter des armes ». Le Code pénal militaire prévoit toujours, dans la loi du 10 juillet 1996, des peines sévères pour punir la désertion en temps de paix (article 46), peines plus sévères encore en temps de guerre (article 48). Très récemment encore, la Cour européenne des droits de l'homme a décidé le 1er juin 2011 que l'objection de conscience au service militaire était un droit de l'homme. En Turquie et en Russie par exemple, ce droit n'existe pas.

C'est pourquoi les déserteurs ont de multiples raisons de dire « non » à ce massacre : « ceci n'est pas ma guerre ». Leur voix doit être entendue dans le concert qui va accompagner la célébration du centenaire de la Première Guerre mondiale. Nous entendons bien l'écouter avec attention, lui servir de mégaphone et demander qu'on réhabilite tous les déserteurs qui se sont détournés de la guerre. En Grande-Bretagne, en Allemagne, en France et aux Pays-Bas, il y a déjà eu des initiatives pour réhabiliter les déserteurs. Jamais on n'a entrepris quoi que ce soit pour réhabiliter les 10 soldats belges fusillés pour « abandon de poste en présence de l'ennemi ». Ni la ministre de la Justice Onkelinx (8 août 2003), ni le ministre de la Défense Flahaut (16 janvier 2007), tous deux socialistes, n'ont vu de raison de le faire.

Les formes modernes de la désertion

La désertion en tant que mise en cause de la logique militaire n'est pas un phénomène d'un temps lointain. Ceux qui refusent de payer l'impôt consacré à la défense ne sont-ils pas des déserteurs modernes ? En Amérique, le mouvement pacifiste lance le cri Not in Our Name lorsqu'il est question d'interventions militaires de par le monde, de détentions illégales et de razzias. Les désertions se produisent aussi dans les armées professionnelles, au cours de guerres dites « propres » avec bombardements chirurgicaux et privatisation des hostilités. De plus, on fait souvent usage des infrastructures civiles lorsqu'on lance des opérations militaires. Début 2003, une armée a traversé la Belgique. Des milliers de pièces d'armement américaines ont été expédiées par train, par transport maritime intérieur et par route vers le port d'Anvers, pour y être ensuite embarquées en vue de l'invasion de l'Irak. Tous ceux qui travaillaient au port ou aux chemins de fer se sont brusquement trouvés mêlés à la guerre. Nul ne leur a demandé s'ils y étaient disposés.

Telle est la raison d'être de ce projet. Parce que nous rêvons qu'un jour, « ils feront une guerre et personne ne viendra ». Les déserteurs ont donné, et donnent, le bon exemple. Pour ceux qui visitent les sites des opérations militaires, et pour tous ceux qui aspirent à la paix, ce thème ne peut être absent des commémorations de la Grande Guerre. Elle n'était « grande » que dans sa folie meurtrière. Et le cri des déserteurs nous aide à ne pas l'oublier.

Concrètement, nous demandons en outre qu'on s'intéresse à la réhabilitation de ceux qui ont été exécutés pendant la Première Guerre mondiale et de tous les autres déserteurs, et au droit aux formes modernes de la désertion que sont le refus de payer l'impôt de guerre et le refus de collaborer aux préparatifs d'une guerre.

Le thème de la désertion sera détaillé en trois volets :

    ⁃    un volet de fond, qui examinera la pertinence du thème de la désertion et de l'insoumission dans une perspective historique et contemporaine au moyen d'articles, de conférences, d'une exposition, de kits de formation, etc. L'asbl Vrede se charge de ce volet;
    ⁃    un volet musical : un projet choral national et international avec alternance de chansons existantes et de nouvelles compositions;
    ⁃    un volet arts plastiques dont s'occupent des plasticiens et des vidéastes, et qui pourrait déboucher sur un « monument au déserteur inconnu ». La Belgique a bien mérité d'en avoir un. D'autres initiatives artistiques peuvent être mises sur pied autour de ce monument.

Le projet sera annoncé lors d'une journée de lancement, en juin 2014. Le projet lui-même se prolongera pendant un an, de la Journée internationale de la paix du 21 septembre 2014 au 20 septembre 2015. L'ensemble sera appuyé par un site web (www.desertie.be) sur lequel sera notamment posté chaque semaine un texte historique, artistique ou journalistique sur ce thème.

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